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mesure et des annonces pour que la violence soit sentie ; enfin la musique
n'est pas le cri. La pure violence est comme absente d'elle-mme, faute de ce
terme antagoniste. L'amour se connat dans l'obstacle.
La fonction est une crmonie continue. Le mtier aussi, quoique cela
paraisse moins. Ds que l'homme est en place, comme on dit si bien, l'opinion
autour ne cesse plus de le rappeler lui-mme. L'homme le plus simple et le
plus born, ds que l'on attend quelque chose de lui, il se hte le faire.
L'attente de beaucoup d'hommes, et surtout dans une organisation divise et
serre, fait le vide devant celui qu'on attend. Il est comme aspir. Tous ces
hommes dans la rue, c'est l qu'ils courent. Oui, fouetts par cette ide bien-
faisante : Si je n'y suis, qui le fera ? Ainsi l'on se trouve dfini, et oblig
envers soi. L'ordre des travaux et le prix du temps, choses tyranniques en nos
socits, est ce qui remplace l'ancien respect de religion, d'aprs lequel il
fallait un homme qualifi pour faire la moindre chose. En des musiciens
d'orchestre qui prennent place, on voit comme cela donne importance si l'on
est attendu. L'hrosme, quand la place est dangereuse, ne vient pas tout de l ;
mais il est certainement soutenu, non pas tant par le cercle humain des
spectateurs, comme on dit, que par une organisation o toutes les places sont
distribues, et tous les rles. La peur, en toutes circonstances, vient de ce que
l'on n'a plus d'ordres. Le mot ordre a plusieurs sens, et est bien riche. Qui ne
reoit pas d'ordres et qui ne participe pas un ordre agissant ne saura jamais
ce qu'il peut. J'ai lu le rcit d'un sauvetage en mer, dangereux et presque
impossible, et qui commenait d'tonnante faon. Les marins du bateau de
secours taient au cabaret, occups chanter et boire, bien loin de tout
hrosme. La porte s'ouvre ; quelqu'un annonce qu'un bateau est en pril. Ils se
lvent, ils courent, et sont l'instant d'aprs leur beau travail. C'est tre assur
de soi. Le chirurgien ou le pompier, de mme ; vifs et prompts, sans aucun
genre de doute. Heureux celui qui rpond de mme, vif et prompt, l'amour
ou l'amiti. Mais cela n'est pas commun sans le pli du mtier et le chemin du
devoir, trac par le savoir-faire. L'homme est trop intelligent, communment,
pour savoir ce qu'il aime. Il faut notre espce, disait Clotilde de Vaux, des
devoirs pour faire des sentiments.
Alain (mile Chartier) (1927), Les ides et les ges (livres I IX) 251
En ces sommations du mtier, le caractre s'apparat lui-mme, mais
surmont, mais relev, mais redress. Le courage, dans le sens plein, nat de
ces expriences. Car les apparences invitent fortement l'homme redescen-
dre ; mais en revanche le mtier le frappe tous les jours aux mmes points ;
l'preuve le consacre. Celui-l, quand il dit moi, dit quelque chose. Et, puisque
la corrlation est vidente entre individu et socit, il faut appeler individu le
caractre lev et mis en forme par le mtier ou la fonction. D'o naissent non
point des ressemblances, mais des diffrences, par cette rencontre de la nature
et de la fonction. Les diffrences informes ne sont pas mme des diffrences.
C'est de la mme manire que l'uniformit de la mode fait valoir les diff-
rences.
Je reois donc l'empreinte de la socit autour. Mais cela ne veut point
dire qu'elle me dforme ; au contraire, elle me forme ; c'est bien ma nature qui
ressort, par cette pression ; ce regard est bien de moi ; mais ce qui le fait
humain, c'est qu'il cherche dans l'ordre humain autour la rponse qui lui est
due. Le roi a ce regard de roi, mais qui est bien pourtant le sien. Un regard fin,
un sourire, expriment et cachent la fois, devant mille tmoins dont chacun
occupe une place et prtend quelque chose. Sans cette prudence du visage et
du geste, toujours rappele aussi par le costume, il n'y a point d'expression, si
ce n'est de la vie nue, comme on voit en ces yeux d'animaux, qu'on veut dire
beaux, qu'on ne peut dire beaux. Pareillement, il y a dans le sourire quel-
quefois une sorte d'emportement qui est viscral, et qui dfait un visage ; on
en verra quelque trace et peut-tre trop en des sourires peints par Vinci. Ce
sont des signes qui n'ont plus de sens ; et, comme ils ne trouvent point
rponse, mais portent le dsarroi au contraire dans le cercle attentif, de tels
sourires rompent la pense. La finesse dans l'expression signifie surtout que
l'on est assur d'tre compris. C'est par ce jeu savant que l'on se fait soi-
mme un visage, et qu'en se montrant soi on est soi pour soi.
Non pas encore tout fait soi. Presque tous les portraits sont achevs, et
plutt de souvenir que d'esprance, comme si la crmonie terminait l'hom-
me ; mais l'homme s'lance toujours. Chacun suit intrpidement un modle
ador. Cette belle pense que l'homme est un dieu pour l'homme va bien plus
loin qu'on ne croit, ds qu'on la presse et ds qu'on la serre. Ici se trouve un
des plus puissants ressorts de cette belle espce, qui voit grand et qui se voit
grande. L'admiration est un sentiment commun, je dirais presque universel,
qui tmoigne pour la conscience, et qui en mme temps la forme. La misan-
thropie s'explique assez par l ; car, surtout dans la vie familiale, l'tre admir
se montre et refoule le plus dlicieux des sentiments ; d'o l'on vient aisment
mpriser. Au contraire, le propre de l'existence politique c'est qu'on y juge
les hommes d'aprs les actions, toujours trs suprieures nos confuses hsi-
tations. Les hommes sont ordinaires, et leurs actions sont souvent hroques.
Cela vient de ce que l'imitation travaille donne aux actions communes une
prcision, une sret, une intrpidit admirables, comme on voit quand la
pompe et l'chelle arrivent au bord de l'incendie. Nos actions valent donc
mieux que nous, et elles semblent plus belles encore dans le rcit. Il est ais
Alain (mile Chartier) (1927), Les ides et les ges (livres I IX) 252
d'admirer les types historiques et surtout lgendaires, puisque c'est principa-
lement l'admiration qui les a dessins. Mais il faut dire que tout homme, dans
les relations politiques, est lgendaire. Plus grand que nature toujours. Ds que
l'on se place bonne distance, mme les fautes prennent de la grandeur par
cette irrsistible posie. Je suis tonn, quand j'y pense, de cette application
admirer. C'est le mouvement d'esprit naturel, surtout chez les jeunes. C'est le
premier bonheur de l'enfant, et comme une revanche de cette faiblesse, de
cette petitesse, de cette dpendance qui lui est propre. Mais tout ge nous
sommes toujours assez humilis par ce qui nous est trop prs pour vouloir
chercher consolation en ce que nous voyons d'un peu loin. J'ai connu peu
d'hommes et peu d'enfants qui fussent disposs se vanter. La modestie, dans
son sens plein, est plus naturelle qu'on ne dit. Julien admire les hussards ; ce
sont des hros ; mais eux n'en pensent point si long ; ils pensent attacher
leurs chevaux. Ce rapport humain est le plus beau ; il soutient l'espce. J'ai vu
beaucoup d'enfants qui vantaient leur pre, leur frre, leur ami, l'lve fort en
version. Beaucoup d'hommes simples racontent merveilles d'un camarade,
d'un chef. S'ils sont ridicules, c'est par l qu'ils le sont. En dpit de faciles
dclamations, il est naturel l'homme de ne point tant s'estimer lui-mme, et
d'estimer les autres trs haut d'aprs les moindres signes. Il faut rpter ici que
chacun de nous, lorsqu'il entre dans un cercle nouveau, reoit en provision un
capital de sympathie, d'estime et d'admiration qui ne lui est pas disput ; mais
c'est lui-mme qui le dissipe. Les gens sont malveillants parce qu'ils voient
trop beau. C'est ainsi que les vertus d'un homme jeune, et mme ses vices,
viennent d'une admiration jure. C'est l'ge o il connat fort mal les
hommes, ainsi que les ressorts de leurs actions, qu'il se met leur place, et les
imite d'abord en ses penses, ce qui transforme en maxime l'effet de l'occasion [ Pobierz całość w formacie PDF ]

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